mardi 29 janvier 2013

Les yeux du dragon Stephen King

Si je vous cite Stephen King, il est plus que probable que vous ayez des images assez morbides dans les yeux, ce qui n'est pas ma volonté première (ne suis-je pas la gentillesse et la douceur incarnée ?). C'est pourquoi je vais remettre à plus tard la critique de l'intégralité des ouvrages de l'auteur américain adulé pour ses récits de terreur et de fantastique angoissant. Cependant, je dois dire que l'auteur est très bon -voir meilleur- dans les autres genres de livres qu'il produit. A mon humble avis, Dead Zone (plus fantastique), Running Man (anticipation) et autres Différentes saisons (quatre nouvelles) sont parmi les meilleurs qu'il écrivit. Je promets que je ferais la critique de tout les Stephen King (je crois que je les ai quasiment tous lu, sauf une poignée), mais pour l'instant, abordons un de ses meilleurs livres, et quasiment unique en son genre.

Je vous propose un conte du maitre de l'horreur : applaudissez bien fort Les yeux du dragon !

Résumé en trois mots : Conte, Magicien et Prison

Stephen King, c'est le genre d'auteur qu'il faut introduire. Et je pourrais en écrire des tonnes sur lui, car c'est un auteur assez remarquable, quant aux introductions ou précision qu'il fait dans ses livres. Mais je m'attarderais au fil des articles, il y a assez de roman pour cela.

Ah oui, et ceux qui attendent le dragon, il a été tué déjà au début du roman et sa tête est un trophée qui orne un mur du palais. Donc ne le cherchez pas dans le texte. Et en plus il s'appelait Nini. Franchement, pour un dragon c'est clairement ridicule. Enfin quoi, un dragon, mince ! Mais bon, revenons à nos moutons, comme dit si bien Bobby Lapointe.

Donc, Stephen King, charmant petit garçon de 40 ans, se rendit compte dans les années 80 que sa fille Naomi (à qui est dédicacé le livre) avait treize ans mais n'était toujours pas intéressée par ses livres, car trop sombre, avec des monstres, bref, tout ce qui ne l'intéressait pas. Du coup, il eut l'idée très remarquable d'utiliser la forme du conte pour écrire une histoire à destination de sa fille. Une idée que j'applaudirais à deux mains si ce n'était pas lui qui l'avait écrit.
« C'est l'heure du conte les enfants ! »
Rien qu'à imaginer ce psychopathe lire
une histoire à des mômes, je n'en dors plus
Car Stephen King est passé maitre dans l'art de tenir un lecteur en haleine, avec une histoire aussi bateau que celle d'un roi, d'un magicien, de deux fils et d'un royaume. Mais finissons le propos, voulez-vous ?
Précisons donc que je lis toujours en version française (je sais que c'est un tort, mais mon niveau de langue étrangère ne me laisse pas d'autre choix). C'est donc  une traduction par des gentils messieurs bilingues, mais je dois dire qu'elle est remarquablement bien faite (comme souvent avec lui d'ailleurs), on garde l'esprit et le rythme de la version originale (je reprends ici les propos de lecteurs bilingues). Bref, la version française vaut le coup. En outre, optez pour le grand format à couverture rigide. C'est plus contraignant à caser dans la bibliothèque, mais vous aurez de superbes images en sus, et celles-ci valent vraiment le coup si vous comptez le lire à des enfants. Enfin, c'est ce que je choisirais si je faisais ce genre de choses. Sinon prenez un Claude Ponti, ça passe largement mieux.

Donc nous avons un conte "pour enfant" (mais franchement, étant adulte c'est super lisible également) qui s'inscrit en droite ligne de l'héroic fantasy. Comprenez qu'il y a des magiciens, des effets spéciaux trucs magiques, et des créatures bizarres (comme des dragons). L'histoire qui s'installe est également très classique : un roi à deux fils. Peter, l'ainé. Il est grand, il est beau, il sent bon le chèvre chaud. Courageux, intelligent, il excelle dans tout les domaines, et de plus il est l'héritier légitime. Bref, tout lui sourit. A l'inverse, son petit frère, Thomas, est laid, lent, maladroit, un peu benêt, toujours dans l'ombre de son grand frère qu'il jalouse tout de même un peu. Bien évidemment, on s'attend à un conflit entre frères, mais je vous rassure tout de suite, il n'en sera rien.
Ajoutons à cette heureuse famille le magicien du roi Randall Flagg, un être malfaisant et vil, l'incarnation du vilain pas beau qui essaye de corrompre tout le monde. C'est d'ailleurs un personnage que Stephen King réutilise régulièrement dans ses romans (Relisez Le Fléau et surtout La tour sombre). Ce personnage est un méchant pas beau qui veut causer la pagaille au royaume. Pour quelles raisons ? Et bien ... Il est méchant. Et le chaos c'est son truc. Pour plus d'infos sur lui, voyez plutôt le cycle de La tour sombre, c'est plus parlant. Retenons qu'il est méchant. Point.
Donc cette heureuse famille royale vit tranquillement, les jours succédant aux jours, mais on s’aperçoit vite que Flagg veut faire son petit ménage dans le royaume, et pour cela, il va agir. Je ne vous dis pas ce qui va se passer, je vous laisse le lire, mais c'est vraiment bien fichu. Le propos est assez inattendu au début, et très vite le roman s'embarque dans une aventure dont la fin est celle qui convient à un conte. Heureuse ou malheureuse, c'est à vous seul de juger, mais en tout cas Stephen King n'a pas son pareil pour faire des fins ambiguë.

Puisqu'on en est là, parlons justement des protagonistes. Car la famille royale présentée n'est pas la seule à évoluer, il y a de nombreuses personnes autour : des servants, des amis, des juges, et d'autres personnes de ce style. Tout ce petit monde va se croiser et s'entrecroiser autour d'une histoire de serviettes, de maison de poupée (dit comme ça c'est très flou, mais je vous garantis que bien expliqué, ça semble très cohérent). On est également dans des questions autour de Thomas, personnage très attachant au final, dans l'ombre de son frère ainé, très attaché à son père, mais n'osant pas pleinement le monter, craintif, manipulable et manipulé. Rongé de remords aussi, complexé par sa situation, il est à la fois comme un enfant apeuré, mais également comme un adulte irresponsable. C'est l'exemple type du personnage faible. Et pourtant ... Parfois des trésors de ressources peuvent se cacherdans des endroits inattendus. Mais là encore, je vous laisse le lire.

Le traitement de l'histoire est classiquement celui d'un conte : les gentils sont gentils, le méchant est parfaitement bien méchant, les intrigues sont celles d'un conte, ce n'est pas du tout complexe (et ce n'est pas ce qu'on recherche), mais très prenant (et assez angoissant pour un gamin je pense). En terme de recherche scénaristique, il y a de l'originalité, de l'inventivité, mais là encore, il ne faut pas forcément s'attendre à des sommets. La résolution sera très classique dans le genre, mais en même temps c'est efficace. Peut-on lui reprocher ? Dans la ligne directe, la morale est simple, mais à nouveau efficace, autour de valeurs universelles telle que l'amitié, le courage, l'honnêteté et toute ces sortes de choses qui font de nos enfants des hommes accomplis et aptes à vivre en société. Là encore, c'est classique, mais dans le genre c'est efficace. Pourquoi s'en priver ?

J'ajouterais que Stephen King apporte des idées très intéressante autour de la magie et du pouvoir qu'il confère à Randall Flagg, unique magicien mais largement pas omnipotent et puissant. Ainsi il va proposer sa vision de la boule de cristal, de l'invisibilité, ou simplement des visions. C'est très intéressant et l'impact de l'idée "Oui, mais ça ne peux pas marcher parce que ..." est amoindrie. Là encore, Stephen King sait faire preuve d'une belle ingéniosité dans son récit (c'est tout à son honneur), mais prouve également que ses recettes fonctionnent toujours : Flagg est terrifiant, et plus d'un passage est vraiment angoissant, oppressant, conduisant le lecteur à tourner les pages très vites. C'est un gros désagrément de Stephen King : on lit la plupart du temps en un seul morceau ses œuvres. C'est très très dur de décrocher. Mais bon, encore une fois, est-ce un tort ? (personnellement je pense qu'un livre est toujours plus sympathique quand on le lit en un seul morceau continu de temps, sans pauses. C'est l'occasion d'être vraiment à fond dedans, de se créer mentalement un monde et d'y rester le temps d'une lecture, mais ce n'est que mon avis). Enfin, le découpage des chapitres est bien fait, avec un double effet : la lecture est plus prenante, s'arrêtant au milieu de passages clés, mais en même temps si on lit avec son enfant le soir, il est plus facile de faire des pauses. Encore un atout.


En conclusion, Stephen King fait ici une adaptation de conte qui est à la fois très classique dans le traitement et dans la morale, mais qui, en même temps, propose quelques innovations par rapport à la moyenne d'âge visée et contient beaucoup de bonnes idées. On peut regretter un manichéisme très primaire, un méchant tellement méchant -notamment autour de son but, très flou- qu'il perd quelque crédibilité, et quelques passages un peu angoissant si on le lit à un enfant en bas âge. Attendez plutôt qu'il ait dans les douze ou treize ans pour lui lire. Mais pour un adulte, ça reste un excellent roman, simple et efficace, qui touche son but. Et pour une fois, il n'empêche pas de dormir (pour un Stephen King, c'est assez rare). Comme dit, la version en grand format illustrée est un bel ouvrage et une petite merveille pour les yeux. Ne vous en privez pas.

(Chronique n°3)

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