vendredi 1 février 2013

La grande épopée de Picsou (Keno Don Rosa)

Petite précision, importante par rapport au sujet : la jeunesse de Picsou a été publié de deux façons différentes. Vous avez tout d'abord la version française qui a été produite dans les magazines "Picsou magazine" et ensuite compilées en albums, avec des traductions très hasardeuses et une colorisation qui n'est absolument pas fidèle à l'originale. Elle faisait deux volumes, et suivirent plusieurs volumes d'histoire de Don Rosa compilées.
Puis nous avons enfin eu dernièrement la superbe version proposée par Glénat qui a eu là une idée extraordinaire, si on excepte le prix, qui est de ... 29.5 euros par albums. Il y en a deux. Je vous laisse faire le calcul de l'ensemble de la collection. Mais enfin la version possède une colorisation fidèle à l'originale, et surtout une nouvelle traduction qui est largement plus précise et respectueuse de l'originale en anglais. C'est une grande avancé pour un des deux plus fameux canards du monde.

Cela dit, maintenant que j'ai abordé le sujet de la version (je possède l'ancienne, j'attends de pouvoir me prendre la nouvelle), voyons le livre à proprement parler :


Lorsque nous parlons de Picsou, ou de Donald, deux noms doivent être inscrit en lettre de feu de plus de dix mètres de haut dans votre esprit. Carl Barks et Keno Don Rosa. Ce sont les deux dieux de Donald. Les seuls, les vrais, les uniques, les plus grands. 

Le maitre, Carl Barks, en train de peindre. A la
fin de sa vie, il ne fit que peindre les scènes
des aventures qu'il avait inventé pour Donald.
Son disciple des écritures, Keno Don Rosa
























Alors avant de commencer, je m'excuse, mais ça sera un peu long. Donc commençons par l'auteur, puis par Picsou, et enfin par le livre. Il y a beaucoup à dire avant de pouvoir véritablement commencer la critique.

Donc Keno Don Rosa. C'est un américain, né en 1951 (c'est à dire qu'il n'est plus de première jeunesse non plus) et qui a voué sa vie et son œuvre à la poursuite de son maitre et mentor : Carl Barks. Celui-ci n'est mort qu'en 2000, mais a pris sa retraite de dessinateur de bande-dessinée pour Disney en 1966 (lui il en a profité de sa retraite ... Mais passons). C'est donc durant 34 ans qu'il peignit les fameuses toiles à l'huile représentant Picsou et sa famille dans les histoires célèbres (il avait pour cela une autorisation express de Disney). Je ne ferais pas la biographie de Carl Barks et son histoire de Donald (j'y reviendrais dans l'article qui lui sera consacré), mais sachez que l’œuvre est incroyablement riche et fouillée, intéressante et prenante. Je pourrais disserter des heures sur le canard et son dessinateur.
Keno Don Rosa, donc, se pose clairement et officiellement en continuateur de l’œuvre de Carl Barks, bien que ce dernier ne l'ai jamais approuvé publiquement. De fait, Don Rosa a posé intégralement son œuvre dans le prolongement des histoires de Carl Barks, et a fait grandir et grossir l’œuvre du maitre. Il n'a commencé à dessiner les histoires qu'en 1987, avec Le fils du soleil, que vous pouvez retrouver dans le hors-série n° 3 de Picsou magazine (je les recommande, c'est pratique pour tout avoir le temps qu'un éditeur se décide à en faire un beau format). Il a décidé d'arrêter sa carrière en 2008, mais n'avait plus dessinée depuis plusieurs années déjà. C'est donc une carrière finie que nous aborderons par l’œuvre la plus ambitieuse, la plus grande, et sans doute la plus belle.

Don Rosa donc, propose de continuer Donald. Cependant, ce n'est pas Carl Barks qui est créateur de Donald, mais Walt Disney dans un dessin animé nommé La petite poule avisée (juin 1934), qui faisait apparaitre un canard en béret et costume de marin. Bien vite il devient un héros de dessin animé célèbre et à la droit à sa propre BD, dessinée principalement par Carl Barks. C'est lui qui inventera quasiment tout : les neveux Riri, Fifi et Loulou, Donaldville, le coffre-fort, Lagrogne, les Rapetou, Géo trouvetou, Grand mère donald, Gus Glouton, Bolivar, le général Duflair, les Castors Juniors, Gontran Bonheur, participe à la création de Daisy, et finalement de toute la richesse de l'univers de Donald. Je pourrais m'étendre des heures sur celle-ci, mais revenons à nos moutons.

La réédition de Glénat. Les couleurs
changent par rapport à l'ancienne mais
sont plus fidèle à la version originale
En 1947, Carl Barks fait intervenir un nouveau protagoniste dans l'univers du canard marin. Dans Noël sur le mont ours, Donald reçoit un cadeau d'un vieil oncle qui veut tester sa bravoure : un chalet en montagne pour passer la nuit de Noël. Mais des ours s'invitent dans la fête. Ce personnage de vieil oncle avare et aigri va vite devenir populaire et bien rapidement membre à part entière de l'univers. Il se nommera Scrooge McDuck (le Mc pour ses origines écossaises, Scrooge pour le nom du personnage principal, avare également, du conte de Dickens A christmas carol -Un chant de Noël en français-). En France il ne sera nommée Balthazar Picsou qu'en 1952 (allez savoir pourquoi. Au début il se nommait Oncle Harpagon, en référence à Molière). Ce personnage va fasciner Don Rosa par son côté aventurier, pingre, avare, mais en même temps tendre à travers l'histoire Retour au Klondike (un petit bijou, recommandé à la lecture) et surtout possédant un passé incroyablement riche. Tout cela va faire de lui le personnage central (et beaucoup plus développé) de l’œuvre de Don Rosa, au détriment de Donald. Mais voyons ceci dans la partie suivante.

Donc Picsou est un milliardaire bien connu, avec une fortune considérable, bien qu'il ait commencé en ayant des parents ouvriers et pauvres, dans une Écosse lointaine, tandis que le manoir familiale est en ruine suite à un chien géant qui traque les McPicsou (Le chien des Biskervilles, autre histoire amusante et tiré d'un roman de Sherlock Holmes d'ailleurs). Celui-ci est pourtant devenu très riche avec la ruée vers l'or du Klondike, en 1896. D'ailleurs Carl Barks se renseignait toujours énormément en faisant ses histoires afin d'avoir une véracité historique. Et lorsque Picsou partait dans ses aventures, il lui faisait souvent dire des petites bribes de son passé chargées de ces renseignements. En les réunissant toutes et en les liant, Don Rosa retraça ainsi la vie de Picsou avant qu'il ne devienne riche et en fit douze épisodes de BD, de tailles variables, pour ainsi créer la fameuse Jeunesse de Picsou entre 1991 et 1993. Cette série de douze épisodes est enrichi de nombreux autres, des épisodes bis (le 0, le 10 bis qui est un monument d'humour, etc ...) ainsi que de nombreuses histoires faisant beaucoup référence à son passé ou ayant des liens très forts avec (notamment une où les Rapetou rentrent dans le rêve de Picsou et voyagent dans ses souvenirs).

Ces douze épisodes forment la trame d'une histoire complète, allant ainsi de 1877 à 1947. Pour info, Picsou est "né" dans ses récits en 1867 et Don Rosa l'a fait mourir en 1967, ce qui fait qu'il vécu 20 ans de vie et d'aventures avec son neveu Donald. En clair, toutes les BD avec Donald et Picsou se passent durant vingt ans entre 1947 et 1967. Incroyable, n'est-ce pas ? D'ailleurs pour l'anecdote, Donald à plus d'une cinquantaine de dessinateurs, disséminés dans tout les pays (les Italiens sont très réputés, mais également les brésiliens, le canadien William Van Horn, des allemands, des danois, des anglais, venus des pays du nord, et très peu venant de France). Une saga qui continue d'ailleurs à l'heure actuelle. Mais venons en enfin à la critique de la BD en elle même : voici la jeunesse de Picsou !


Donc la jeunesse de Picsou, c'est toutes ces histoires qui lui sont arrivées entre 1877 (date à laquelle il quitte son Écosse pour l'Amérique) et 1847, lorsque Picsou croise son neveu Donald pour la seconde fois et l'intègre dans sa vie. C'est une fresque du temps, qui s'assoit d'ailleurs sur une bonne partie du globe. Car Carl Barks s'était amusé à faire faire à son personnage le tour du monde dans les deux sens, explorant tout les recoins de la planète à des moments très proches. C'est donc tout naturellement que Don Rosa va le faire vadrouiller également. Ainsi nous auront droit à l'Afrique du sud, l'Australie, le Klondike, le pôle nord, les Bahamas, la Russie et plein d'autres choses encore. D'ailleurs avoir de la culture générale en histoire avant de lire le récit est hautement recommandé, puisque vous n'aurez pas toute les explications et que certaines pointes d'humour peuvent vous passer par dessus la tête.

En premier lieu, il faut parler du dessin. Celui-ci est très précis, fourmillant de détails qui, bien souvent, sont également autant d'occasions de rigoler. Car Don Rosa n'a pas son pareil pour glisser des détails amusants, des petits clins d’œil (par exemple des oiseaux ou des souris qu'on peut suivre durant plusieurs cases). Il faut ajouter que les compositions sont toujours un régal pour les yeux, les couleurs (lorsqu'elles ne sont pas saccagés par les rééditions françaises) sont une symphonie, bref c'est une orgie pour les yeux. Il faut noter également que le trait est précis, clair, net, et surtout, qu'il est incroyablement bien foutu. Le rendu est non seulement fluide, mais toujours dynamique (dans la plus pure tradition des bons Donald). C'est tout simplement parfait. Rien à redire là dessus.

Ensuite, je l'ai déjà un peu dit, mais Don Rosa glisse énormément d'humour dans le récit, sous toute ses formes : un peu d'humour en arrière-plan, du comique de situation, des têtes hilarantes, des dialogues extraordinaires, et bien évidemment beaucoup découle des caractères (Picsou est buté et borné notamment). Bref on rigole tout le temps, même dans une situation qui peut sembler tragique. D'ailleurs, parlons en ! La tragédie. A titre personnel, c'est en lisant la neuvième histoire que j'ai versé mes premières larmes pour une BD (et pas mes dernières d'ailleurs). Bon, c'était il y a longtemps, quand j'étais petit, mais quand même, c'est signe évident d'une réussite. Et en fait, je crois bien que Don Rosa a réussi pour la première fois à dramatiser l'univers des canards. C'est assez remarquable, car c'est toujours bien fait (et dans d'autres histoires, il fera encore mieux, mais c'est un autre sujet). D'ailleurs beaucoup de détracteurs reprochent à Don Rosa de faire de l'univers des canards un sujet plus grave qu'il ne devrait être. De fait, Don Rosa l'a rendu beaucoup plus mature, parfois plus sombre, et à accentué beaucoup de côtés de ses personnages. Picsou par exemple gagne une sacré profondeur, car finalement l'avarice et la pingrerie qui le caractérisent sont des marques de ce qu'il a vécu, et je crois bien qu'on ne peut pas trop lui en tenir rigueur. A titre personnel je trouve que cette avancée dans le monde est très bien faite, surtout que Donald est plus lu par des adultes que par des enfants (oui, c'est authentique). Le fait des caractères très humain de ces personnages l'a destiné au final à un public plus adulte que ce qui est attendu. Drôle de retournement de situation.

Enfin, parlons de l'histoire. Pour l'Histoire, là, c'est juste excellent. Si vous avez déjà lu toutes les histoires de Carl Barks, vous vous rendez compte que Don Rosa a épluché jusqu'au moindre gag en une planche que celui-ci a fait afin d'extraire les informations qu'il pouvait utiliser. Le travail de recherche et de chronologie est également incroyable, le détail des informations est à la hauteur de tout le reste. C'est admirable de précision. D'ailleurs Picsou permet également de faire de l'Histoire : l'expédition pour découvrir le pôle nord, Roosevelt et les indiens, Panama et Roosevelt, les ruées vers l'or, etc etc .... Beaucoup de choses qu'on apprend, beaucoup de personnages historiques (comme Astor sur le Titanic également). L'ensemble est très dense du coup, avec une lecture à plusieurs niveaux. Et en sus, nous avons le droit à une belle conclusion.
En terme d'histoire, elle est également très belle. Picsou qui veut absolument s'en sortir, devenir riche, se fait progressivement beaucoup d'ennemis, mais également des rencontre formidables, et vit des aventures incroyables. Nous verrons également qu'un empire ne se bâtit pas comme ça, et que des choses graves peuvent se passer dans sa création. L'histoire avec sa famille est également bien développée, tout comme l'évolution progressive du caractère de Picsou et son avarice qui va croitre tout au long de son aventure.
Bref, c'est une histoire complète, en continue mais néanmoins divisée en épisodes parfaitement découpés, et totalement maitrisée d'un bout à l'autre.



Du coup, pour la conclusion, je pense que je vais devoir préciser que je n'arrive pas à être objectif sur le monde des canards. Mais franchement, celui-ci est incroyablement riche, dense et humain (oui, les canards de Disney sont à mon avis plus humain que beaucoup d'autres hommes de BD). Don Rosa nous crée une histoire extraordinaire, parfaitement maitrisée, au dessin sublime, fouillé et détaillé. C'est un régal pour les yeux et pour le cerveau, c'est amusant et émouvant à la fois. C'est une œuvre qui à mon sens mérite parfaitement tout les éloges qu'on lui fait. La réédition de Glenat est juste parfaite, regroupant enfin toutes les histoires en deux volumes de qualité, c'est une excellente occasion de découvrir ce monde. Il plait autant aux adultes qu'aux enfants, et je pense franchement qu'il est à découvrir. C'est quelque chose d'unique et d'incroyable au sein de la BD que cet univers. En voici, sans doute, la meilleure partie. Pourquoi s'en priver ?


(Chronique n°6)

1 commentaire:

  1. Merci de nous faire partager ta passion!
    Après avoir lu ton article, je n'ai qu'une envie: découvrir plus en détail le monde du cher Picsou (sans mauvais jeu de mot).

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