mardi 5 février 2013

Je suis une légende (Richard Matheson)


Et oui, un classique, mais alors un grand classique de la littérature d'anticipation : Je suis une légende. Avant de commencer, faisons juste deux trois petites explications, voulez-vous ?

Qu'est-ce que de l'anticipation ? Et bien tout simplement de la science-fiction. Mais pas n'importe laquelle. En fait c'est plus lié à la science-fiction que vraiment de la science-fiction à proprement parler. L'idée n'est pas de proposer un futur lointain, scientifique, dans l'espace ou avec des avancées technologiques formidables.  Il s'agit plutôt d'un futur très proche, dans moins d'une vingtaine ou une cinquantaine d'années, puis de développer un thème lié à ce futur : catastrophes, nouvelles technologies, problèmes de société etc ... En fait, bien souvent l'auteur dénonce une caractéristique de la société en la développant énormément et en prenant pour exemple ce qu'il en advient. C'est par exemple le cas pour 1984 (George Orwell, mais vous le saviez), Running Man (Stephen King, ça va de soi) ou Fahrenheit 451 (Ray Bradbury, que vous connaissez bien évidement). Mais d'autres, comme Je suis une légende, vont plutôt proposer des idées nouvelles, des approches philosophiques, en utilisant pour cela un autre cadre possible de condition humaine, qui ne s'est pas encore développée dans le monde. C'est une forme très intéressante et reposant sur une vision du futur proche qui nous concerne beaucoup plus directement, et peut sembler donc bien plus réel que de la science-fiction se déroulant dans 2.000 ans. D'ailleurs Jules Verne est souvent classé dans l'anticipation (De la terre à la Lune, 20.000 lieux sous les mers et autres romans proposant un futur très proche).

Ensuite, je dois parler, et j'en suis obligé, du film qui en a été tiré. Alors attention, car il y a eu trois films différents avec le même livre, donc là je parle de l'adaptation la plus récente, datant de 2008 avec Will Smith. Pour faire très court et très simple, si vous avez vu le film, oubliez le. Tout de suite. C'est un navet total, une merde sans nom. Je m'exprime vite, afin que vous compreniez mon avis :
Énormément de films sont adaptés de livres (et bien souvent la plupart des chefs-d’œuvre le sont), et je suis assez d'accord avec cette politique. Surtout quand elle est bien mené. Par exemple, le film Les Evadés tiré de la nouvelle de Stephen King La rédemption de Shawshank (allez savoir pourquoi ils ont changé le nom en français) est presque meilleur que l’œuvre originale, et bien développée. Trainspotting est une merveille d'adaptation par rapport à l’œuvre originale.
Ensuite, tout ne peut pas être adapté parfaitement, mais on peut en réaliser des excellentes adaptations : Le seigneur des anneaux est une adaptation fidèle à l'esprit, ayant opéré des coupures, mais toujours dans l'esprit du livre, ce qui est tout à fait correct. Il en va de même avec l'adaptation de Watchmen qui est très juste, ayant coupé ce qu'il faut mais l'essence d'origine de l’œuvre est là.
Enfin il reste les bonnes adaptations qui proposent une vision personnelle de l’œuvre. Là je citerais le grand Kubrick, qui détournait totalement les propos du livre pour faire sa propre interprétation de la chose. C'est louable lorsque c'est bien fait et que le sentiment de base est bel et bien celui de faire une interprétation personnelle. Ainsi Shinning devient un film de fantômes et d'épouvante alors que le livre proposait une vision d'un père alcoolique. Cependant, le trahison de l’œuvre originale est assumée, et surtout très bien faite. l'auteur apporte véritablement quelque chose à l’œuvre et montre qu'on peut tirer d'autres choses de la même histoire. C'est remarquable à mon sens et d'autant plus louable.

Mais, malheureusement, il arrive parfois que les auteurs prennent une œuvre ayant marché, l'adaptent et font une réalisation catastrophique qui ruine votre vision de la chose. Là les noms sont légion, et je citerais simplement Les Schtroumpfs pour vous donner une idée de ce que je range dans ce genre de choses.
Et c'est dans cette catégorie que vient se ranger le film Je suis une légende. Car l’œuvre est violée profondément dans sa nature même. C'est dur. Énormément de changement sont apportés, mais sans changer la trame, proposant une fin juste ignoble, et un traitement à deux sous qui défrise les cheveux.
J'emploie peut-être des termes forts, mais après avoir vu le film, je me suis dit : "Oulah, pas bon celui-là". Après avoir lu le livre, j'ai compris la douleur des fans. Le fossé entre les deux est immense. Mais comment pouvez-vous le savoir ? Et bien, faisons donc la critique pour que vous le voyez par vous même.


Résumé en trois mots : Seul, Apocalypse et Survie

Pour la première fois depuis le début de ces chroniques, je vais aborder un livre en évoquant très peu l'auteur. Non pas que celui-ci ne le mérite pas, mais parce que je n'ai pas grand intérêt à le faire, il ne se mêle pas tellement à son œuvre comme pourrait le faire un Stephen King. Ce qu'on peut en noter, c'est qu'il écrivit le livre en 1954, lorsqu'il était âgé de vint-huit ans seulement, ce qui est prodigieusement remarquable d'ailleurs.


Passons donc directement au roman. Déjà, le résumé ! Nous suivons les pérégrinations d'un dénommé Robert Neville, un homme dont l'âge n'est pas connu mais qui doit être dans la trentaine ou aux alentours. Il vit à New-York, dans sa maison, seul. C'est un homme qui a de la ressource, capable de bien réfléchir, et qui s'organise. Il en a d'ailleurs besoin, maintenant qu'il est seul sur terre. Enfin presque. Car le soir venu, les vampires qui ont envahi le monde sont autour de sa maison, l'appellent, et lui demandent de sortir pour les rejoindre. Et il est certain que ce n'est pas juste pour boire un verre entre amis. C'est pourquoi il reste enfermé chez lui en essayant de survivre dans sa petite maison tranquille, en oubliant le monde, ses fantômes et ses spectres.

Le résumé là est très succin, car en fait l'auteur va apporter des surprises et des petites perles d'inventivités à chaque chapitre, et je ne vous dévoilerais absolument pas le reste, au risque de vous rendre l’œuvre très fade. Mais pour autant, je dirais que les réflexions priment sur le reste. En fait, nous avons déjà un personnage principal très curieux : il est simple, avec un peu de bon sens et de réflexion, mais ce n'est pas un érudit. Il est à moitié alcoolique (en même temps, dans cette situation ....), fait des choses qui semblent complètement idiote, a ses états d'âme, de mélancolie, et semble plus proche d'un anti-héros. Cela dit, il est dans une situation qui n'est pas reluisante et on lui pardonne facilement beaucoup de choses. Mais c'est un héros très singulier, et pourtant très attachant.

Ensuite, l'histoire va se concentrer autour de plusieurs thèmes, et le principal va être notamment de démystifier le vampire en proposant une explication scientifique et rationnelle aux différents mythes autour de lui. C'est ainsi que l'auteur déclinera plusieurs de ces mythes de façon très convaincante et sans lancer des vérités à la gueule en voulant faire croire qu'il dispose de la science-absolue. Tout est amené de façon très fine, et surtout très crédible. Pour un peu j'admettrai que le vampire peut exister, ou au moins qu'il a existé.


L'autre thème très fort, qui n'est pas le "surival horror", est autour de l'évolution et du darwinisme. Là je ne dirais rien, étant donné qu'il est surtout concentré dans la fin du roman, mais le dénouement est vraiment singulier et le titre de l’œuvre prend tout son sens dans la toute dernière partie. A propos de partie, le roman est coupé en quatre parties, chacune se déroulant à un autre mois. Nous avons donc Janvier 1976, Mars 1976, Juin 1978 et Janvier 1979. Ce découpage n'est absolument pas proportionnel, et la partie deux fait presque la moitié du livre. Cependant, l'évolution entre les quatre parties est très bien faite, et chacune d'elle présente un personnage qui à évolué depuis le chapitre précédent. La mise en scène est vraiment excellente.

Après, je me permettrais tout de même de faire quelques critiques. Tout d'abord, il faut reconnaitre que le livre est sorti en 1954, et morale de cette période oblige, nous avons très peu de rapport au sexe et de façon très dérangeante. J'avoue avoir tiqué dessus, c'est déroutant la façon dont il présente ça. Mais je pense que l'ouvrage est clairement ancré sur sa période d'écriture et sa morale.
Ensuite, j'ajouterais également que le personnage principal est un peu trop facilement intelligent. Je veux dire par là qu'il ne comprend rien à la façon dont fonctionne un corps, mais voila qu'il lit beaucoup et peut alors en tirer des conclusions sur la nature de virus et de transformation chimique du corps. C'est bien amenée, certes, mais j'ai trouvé cependant le procédé un peu facile.
Enfin, je dirais également que l'auteur aurait peut-être pu approfondir certaines choses en rapport avec la fin. Notamment autour des rapports entre les vampires et d'autres petits détails. Mais dans l'ensemble, cela reste plus des détails qui ne font pas vraiment le poids face aux qualités de l’œuvre. Et j'ajouterais que le roman est en plus très bien écrit, avec une lecture fluide et sacrément réaliste. J'ai beaucoup aimé quoi.

En conclusion, ce chef-d’œuvre de la littérature d'anticipation est encore et toujours aussi bien écrit. Le récit est prenant, contient encore et toujours autant de bonnes réflexions. Les pistes explorés sont juste incroyablement lucides par rapport à l'homme et son inscription dans le cycle de la nature. Le héros est attachant tout en étant un héros très détaché. Et en sus nous avons le droit à des très beaux passages, émouvants ou révoltants, mais qui marquent. La réflexion à la clé est très sympathique, et je suis sous le charme. En clair, le récit reste encore largement dans son statut d'immanquable d'une bonne bibliothèque, et à mon sens un des précurseurs et génie dans le domaine de l'anticipation. A lire donc.

(Chronique n°7)

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