vendredi 8 mars 2013

La geste de Gilles de Chin et du dragon de Mons (Ptiluc)


Je ne sais pas pour vous, mais j'aime beaucoup aller en dédicace. C'est toujours amusant, on rencontre plein de gens qui partagent souvent la même passion que vous, les rencontres avec les auteurs amènent leur lots de surprises (bonne ou mauvaises), on reçoit des petits cadeaux parfois, des dessins gratuits et colorisés également, on rigole beaucoup, on se ruine le dos à rester debout à attendre pendant deux heures ...
Si je vous parle de ça, c'est qu'aujourd'hui je vais vous parler d'une bête de la dédicace. Un dieu à ce niveau là, mythique dans sa façon de faire. Si vous avez vu une séance de dédicace, c'est inoubliable.
Pourquoi donc ? Tout simplement parce que Ptiluc est une personne qui "part en Berserk" pour reprendre une expression de Boulet. Lui, les BD, il les éventre, les lacère, les brule, les déchire. N'amenez jamais, au grand jamais, des BD de collection avec lui. Elles ne survivront pas. C'est une expérience unique et mortelle. J'ai obtenu une magnifique déchirure et une belle tache de brulure sur mes BD, et j'en suis trop content. Surtout que ses dédicaces c'est bien souvent une perle d'inventivité. J'en ai admiré je ne sais combien. Et de ces idées ! (pour une il a projeté sa main couvert de peinture sur la page intérieur, couvrant le tout de peinture et gondolant les feuilles. On était tous jaloux du type qui l'a eu).
Et Ptiluc, c'est un monument en dédicace. Il se fait toujours engueuler parce qu'il salit les tables, s'assoit sur les tables et non sur les chaises pour dédicacer .... Un gars vraiment génial. Et super intéressant je trouve. Si il passe dans votre secteur, faites-vous dédicacer des trucs.
Si cette introduction est longue, c'est qu'il fallait le mentionner, c'est une caractéristique inoubliable de l'auteur. Et ce n'est pas la seule particularité de Ptiluc, auteur atypique dont je vous propose aujourd'hui une superbe série très courte, en deux tomes seulement, et qui s'intitule très simplement La geste de Gilles de Chin et du dragon de Mons.


Résumé en trois mots : Religion, Critique et Noir

Pour commencer, car il y a beaucoup à dire autour de cette BD, je vais présenter rapidement Ptiluc, vous allez comprendre vite l'intérêt dans le cadre de la bande-dessinée. En effet, Ptiluc est née a Mons, en Belgique, en 1956. Actuellement il habite à Montpellier, mais il vadrouille beaucoup (on peut d'ailleurs trouver ses récits de voyages en moto en BD également). Il dessina très jeune et en fis ensuite son métier avec la série Pacush Blues ou encore Rat's, deux fameuses séries de BD dans lesquelles des rats campent le rôle des humains. Ah oui, je crois que Ptiluc est assez misanthrope sur les bords, ne relevant que les pires défaut de l'être humain et les dénonçant ensuite de façon crue et "bestiale", si vous voyez ce que je veux dire.
Il bénéficia d'un coup de pouce de la part de Frankin (oui, le maitre qui dessina Gaston Lagaffe) et publia enfin ses premières bandes-dessinées en 1983 chez Vents d'Ouest, commençant là sa grande série Pacush Blues qui compte aujourd'hui 17 albums ou quelque chose comme ça. Et la série Rat's en compte désormais 8 ou 9 il me semble. Mais pourtant, à côté de ces production, il continue de faire des séries diverses, comme une idée géniale : tout les dictateurs se réincarnent en cochon (Hitler, Staline, Napoléon ...) dans la série La foire aux cochons, ou encore La vie des bêtes et d'autres récits étranges et tordus.

Dans la plupart des récits, Ptiluc adopte un ton humoristique trash, souvent violent, dénonciateur également. Je n'irais pas jusqu'à le qualifier d'anarchiste, mais il n'en est pas loin. Et dans ses récits, il utilise tout les moyens pour montrer ses idées. Attention, nous sommes ici très loin de la finesse dont sait faire preuve un Lauzier dans ses BD. Non, ici c'est trash, violent et bourrin sous toutes ses coutures. C'est un style et on a parfaitement le droit de ne pas l'aimer. Personnellement j'adore.
Alors pour continuer sur la lancée, je vais préciser quelques petites choses par rapport à l'histoire. En fait elle est tirée d'une légende du pays natal de Ptiluc, la légende de Gilles de Chin qui combattit et tua le dragon habitant les marais de la région de Mons. Pour lire la légende en détails, c'est par ici ! Et en lisant la BD, on note qu'il s'est vraiment inspiré de beaucoup de choses pour la faire, pas mal de détails reviennent. Mais je vous laisse lire.
Par contre, je vous arrête tout de suite ! Cette BD à beau se passer au Moyen-Âge et traiter d'une légende locale, c'est uniquement un prétexte que va utiliser Ptiluc pour atteindre son objectif et exposer son avis. Car ce livre, c'est avant tout l'avis de Ptiluc autour d'un sujet bien précis. Et un sujet sur lequel il y a beaucoup à dire. C'est, vous l'aurez bien évidemment deviné au titre, la Religion.

J'ai délibérément choisi de ne pas classer cet album dans "philosophie", bien qu'on puisse le noter, mais Ptiluc ne fait pas dans la dentelle et la réflexion. C'est plus un exposé des travers qu'il relève dans la religion et qu'il démonte progressivement au fur et à mesure. La BD prête à réflexion, mais il faut bien dire que ce n'est pas l'essentiel, on est plus dans la détente. L'histoire y contribue également, je vais vous l'expliquer.

L'histoire commence là où la légende fini quasiment : le chevalier Gilles de Chin revient de terre sainte après moult combats, victoires et paillardises en tout genres. Héros, revenu avec un trophée qui indique le monstre qu'il a tué dans quelque lointaine contrée, il recherche la femme qu'il aimait et pour laquelle il s'est exilée. Très croyant, il  est à la limite du fanatisme, et recherche de toute les façons possible à tuer le dragon, qu'il juge comme l'incarnation de la bête (comprenez : Satan). Et pourtant, le dragon est peut-être le personnage le plus sensé et le plus ingénieux de toute cette histoire ...

Alors bien évidemment, ce livre est un énorme pamphlet anti-religieux assaisonné d'une bonne dose d’anti-cléricalisme. Bien que partageant les convictions de Ptiluc, faut reconnaitre que la subtilité manque sacrément. Les personnages croyants sont d'une conneries monumentales, excusez l'expression, et les autres ne valent pas grand chose. Mais j'aime bien la façon de traiter l'intolérance religieuse, surtout vis-à-vis du progrès (ça peut rappeler des propos sur un préservatif et le pape, même si la BD est bien plus ancienne). Ensuite, j'ai apprécié la touche du racisme et des religions qui se côtoient, ou de la mise en scène de la bêtise crasse des personnes sous toute ses coutures, où que l'on aille. Finalement tout le monde est très con, bête et méchant.
Je l'ai bien dit : Ptiluc est un misanthrope selon moi, il n'aime pas les gens et leur ignorance crasse et le fait bien ressortir. Pire que tout, il n'aime pas les gens qui s'aveuglent de préjugés ou d'autres choses. C'est une métaphore qu'il utilise dans la BD (le dragon fabrique des lunettes) et que j'ai trouvé intéressante. Une belle mise en scène.

Et c'est ce qui est d'ailleurs dommage. La mise en scène est intelligente, le propos pourrait être très bon, mais il est tourné de façon trop virulente. L'attaque est plus méchante et gratuite que vraiment ordonnée, et là encore c'est dommage. Les moments sérieux sont aussi trop souvent contre-balancés par des piques d'humour. C'est dommage encore une fois, parce que le récit est vraiment très sombre, avec pas mal de passages plutôt sérieux et la fin est presque belle dans son propos. Pour un peu Ptiluc aurait fait un drame sublime sur la religion et les croyants, mais là il rate le roman graphique/philosophique d'une bonne longueur, donnant seulement une bonne BD mélangeant humour et cynisme. C'est toujours bon, mais je pense franchement que ça aurait pu être meilleur.


En conclusion, le diptyque est clairement orienté, c'est un énorme pamphlet anti-religieux. En allant à fond dans l'humour et dans le trash, Ptiluc dénature son propos, tournant en ridicule quelque chose qui aurait put être excellent. Ça reste très bon, et si le dessin n'est pas bon, il n'en reste pas moins diablement efficace, tout comme le texte. Le propos peut toucher, et dans mon cas je l'ai trouvé intéressant. La fameuse légende de Gilles de Chin, le tueur de dragon, prend ici une nouvelle tournure. C'est maintenant l'histoire d'un homme qui va ouvrir les yeux sur le monde, sur les gens, sur la religion et sur lui. Et qui nous les ouvre peut-être également.

(Chronique n°20)

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