jeudi 14 mars 2013

Le combat ordinaire (Manu Larcenet)


Parfois, dans le monde de la BD, il sort des personnages qui marquent leur époque de leur œuvres, bien qu'elle ne soit pas forcément fournie. Art Spiegelman n'a sorti que Maus comme BD (ou presque) et pourtant il est indéniablement un des grands auteurs du XXème siècle. Parfois, des auteurs ont une production arrêté et sont encore vivant, reconnu comme des dieux par les contemporains, tel Gotlib. Et parfois ils sont sans arrêt en mouvement, continuant à travailler dans la BD et proposer des nouveautés, des secteurs inexploités, comme Trondheim. Ces grands de la BD, ce sont des incontournables, qu'on ne peut pas rater lorsqu'on se plonge dans ce monde.
Et parfois, il y a des auteurs qui ne révolutionnent pas la BD, qui sont productifs, et qui pourtant n'ont pas inventés des genres particuliers de BD ou de dessin. Je classerait Larcenet là-dedans. C'est un auteur à la patte reconnaissable, au style faisant école, certes, mais qui n'a pas révolutionné le dessin, ni la narration. Et pourtant, je dois bien dire que ce personnage est un des artistes les plus doué que je n'ai jamais croisé. Sur les œuvres que j'ai lu actuellement, j'ai adoré toutes celles que j'ai lu, et je continuerais de les lire autant que possible, même si je sais que j'ai commencé par le haut du pavé et que je risque des déconfitures.

Maintenant que cela est dit, je vais vous présenter l’œuvre phare de ce personnage, une des plus belles séries qui n'a jamais été écrite et qui à été récompensé partout à juste titre. Une série qui est juste superbe, et dans laquelle j'aime me replonger lorsque des questionnements me viennent. Car elle arrive à poser les bonnes questions, et je suis alors mieux car j'ai la question. La réponse, on s'en fiche. Ce n'est pas important. Les questions, les bonnes, bien formulées, c'est ça qui compte seulement. C'est d'ailleurs une BD dans laquelle je tire des citations assez extraordinaires et que souvent on croit sorti d'un livre de philosophie. Mais à nouveau, pas de la grande philosophie. De la philosophie simple, poétique, que tout le monde comprend, que tout le monde perçoit. On la garde facilement en tête, et on la ressort bien facilement.

Cette BD, c'est la série superbe Le combat ordinaire de Manu Larcenet !


Résumé en trois mots : Quotidien, Philosophie et Vie

Vous connaissez le riz complet ? Et ces céréales complètent qui apportent les trois quarts des ressources différentes dont nous avons besoin dans un seul élément. Et bien ici, nous avons de la BD complète. Ce que vous cherchez, elle le propose. De l'humour ? Il y en a, et du très bon. De la poésie ? Il y en a. De la réflexion ? Il y en a. De la noirceur ? Il y en a. Du déjanté ? Il y en a. De la détente ? Il y en a.
En fait, cette BD c'est vraiment pour tout les gouts. Ça plait à tout le monde (ou presque). Et ça peut aisément se comprendre.

Pour ne pas faire trop long, car je sens déjà que je vais en faire un pâté indigeste, relisez ce que j'avais marqué sur Larcenet dans l'article sur Presque. Pour faire simple, nous aurons ici droit aux thèmes "classiques" de l'auteur déclinés sous une nouvelle forme : La paternité, les relations avec les parents, l'amour, la vie, le sens de la vie, le travail, etc ... Ces thèmes, Larcenet les repasse en boucle dans plus d'une de ses BD, mais il ne lasse jamais, explorant toujours d'une façon qui n'était pas visible auparavant.
Larcenet est un génie pour moi, mais il n'aime pas qu'on en parle en ce sens, du coup je ne le dirais pas, mais je continuerais de le penser. C'est un homme très curieux, qui semble avoir une bien piètre opinion de lui-même. C'est curieux. Mais je ne le connais pas, alors je ne ferais pas de supposition erronée à son égard.

Alors pour commencer, parlons de son trait, à Larcenet. Oui, parce qu'il possède un coup de crayon remarquable, mais en même temps évolutif. La BD est sortie entre 2003 et 2008, chez Dargaud (on s'en fout mais je le dis quand même). Le trait à pas mal évolué du fait entre le premier et le dernier tome. Notamment aux niveau des détails et de la maturité du trait. Le premier tome à un dessin plus facilement humoristique, en accord avec le propos qui contient pas mal d'humour, tandis que les tomes suivants ont des traits plus matures, plus apte à des réflexions et de la philosophie. D'autre part la colorisation est superbe (totalement subjectif comme avis) et les planches sont plus d'une fois très belles.
Alors celle-là, c'est l'une des plus
belle déclaration d'amour que j'ai
jamais lu. Simple mais tellement beau
Tiens, en parlant des planches, vous aurez droit à un procédé extraordinaire que j'ai trouvé superbe. Le personnage principal est photographe de métier. Dans le roman, il prend souvent des photos. Et certaines planches présentent ces photos, comme si il les avait réellement prises, accompagnés d'un discours du héros sur un sujet précis (et avec un rapport plus ou moins direct aux photos). Dis comme ça c'est peut-être dur de se l'imaginer, mais dans la lecture, c'est fluide et parfaitement lisible. Je n'ai malheureusement pas trouvé d'exemples sur le net, mais vous pourrez voir par vous même dans la BD. Et pour vous régaler, j'ai mis quelques planches trouvées qui, j'espère, suffiront pour vous donner l'eau à la bouche et vous inciterons à la lire. J'aimerais vraiment vous donner le gout de cette BD.

Alors, en continuant sur la lancée, maintenant que j'ai parlé brièvement du trait (oui, j'aurais pu détailler les cases, expliquer les différences avec Presque, comparer autour des façons de représenter, expliquer les cadrages, les têtes des personnages ...), je vais essayer de parler de l'histoire.
C'est celle d'un petit photographe, Marco, qui est dans un petit creux de sa vie. Il n'a pas envie de recommencer tout de suite à travailler et se pose pendant une petite période. Il sent qu'il lui manque quelque chose, qu'il n'est pas dans les bons rails de la vie. Il ressent un vide, qu'il cherche à comprendre. L'envie de faire des photos ne lui revient pas. Et durant cette période, il reste dans sa petite maison de campagne, retirée d'un peu tout, seul avec son chat. Et là, ça commence. Il rencontre ses voisins, des gens bien ou pas bien, une fille, vétérinaire, et puis la vie continue. Ce n'est pas la grande vie, la grande aventure, c'est simplement la vie de tout les jours, le combat ordinaire de la vie. On se bat, sans trêve ni repos, continuant à avancer sur le chemin.
Dis comme ça, je sens que vous vous attendez à une BD chiante et introspective. Et bien pas du tout. Les personnages sont incroyablement attachants, les situations s'enchainent sans temps mort, donnant des passages humoristiques à côté de réflexions. C'est déroutant au début, on ne rigole pas tout le temps, mais ce n'est jamais dramatique non plus. C'est comme la vie, on rit, on pleure, et on avance encore et toujours.
Ce qui est intéressant également, c'est l'évolution des personnages, puisque la série va s'étaler sur une période assez longue de plusieurs années, avec les relations à sa famille qui évoluent (notamment avec le petit frère), sa propre famille qui se constitue, son travail qu'il va reprendre petit à petit. Et puis plein de petits moments, bon ou mauvais. Notamment plus d'un très beau, mais je vous les laisse découvrir. L'ensemble est au niveau d'une BD philosophique, toujours simple, sur plein de sujets. Mais je le répète : ne cherchez pas de réponses là dedans ! Ce ne sont que des questions qui vous attendent, des questions que vous ne vous posiez pas, et plein d'autres que vous vous posiez sans trop le savoir.
Par contre je dois avouer que je n'ai aucune idée de l'impact de cette BD sur les filles, puisque le personnage principal, un garçon, fait pas mal de réflexion en rapport avec les garçons. Pour une fille, je ne sais pas l'impact qui en ressortirait. Sans doute qu'il y en aurait également un, mais très différent. Je ne sais pas trop. C'est une expérience qui se prête bien à l'essai, je vais tenter de voir si je peux motiver quelqu'un à le faire.

J'ajouterais également que le récit contient beaucoup de tendresse, les personnages étant tout ce qu'il y a de plus humain. Et surtout, ils sont normaux. Pas de gros looser qui n'arrive jamais à rien dans la vie, pas de gars qui saute par dessus une voiture en flamme en continuant à se raser sans se couper. Rien que des choses de la vie courante, pas d'extra. Des discussions politiques simples sur les positions qu'ont eux les français (la BD se déroule durant le premier mandat Chirac, sa réélection et une partie lors de l'élection de Sarkozy), mais également des avis sur la France actuelle avec une vision des banlieues que j'ai trouvé sublime (c'est dans le tome 4). D'ailleurs, la BD contient énormément de phrases superbes, de beaux discours de toute sortes et des appréciations que j'ai trouvé totalement juste. Plus d'un passage semblent avoir été écrits dans un roman et qu'on aurait mis en image. Mais non, tout n'est sorti que de la BD.

En prime, je dois dire que l'auteur nous gratifie de petits détails superbes, tels ces fameuses pages de photographies, mais également de résumés qui mériteraient à eux seuls des éloges. Le résumé au dos du premier tome est rédigé en ces termes :
"C'est l'histoire
d'un photographe fatigué,
d'une fille patiente, 
d'horreurs banales,
et d'un chat pénible"
Là vous avez le résumé complet de tout le premier tome. Je ne sais pas pour vous, mais je trouve ça admirable ! Et tout les tomes ont leurs résumé ainsi. Je les trouve beau.


Et puis, tout est bon dans la BD. Les cadrages, les mises en pages, les dessins, les dialogues, la balance entre les sujets, les questions, la fin. Tout quoi. Dans le genre parfait, j'ai rarement vu mieux. C'est un roman graphique, mais avant tout c'est une BD de philosophie simple et accessible à tous. Les questions et les réflexions peuvent parler à tout âge, bien que le personnage soit déjà dans la trentaine. Marco est également une belle figure. Ce n'est pas forcément un héros auquel on s'identifie. C'est un personnage complet, qui est simplement attachant. Pour un peu on souhaiterait presque qu'il sorte de la BD, qu'on puisse parler avec lui. Et il semble également un reflet déformé de l'auteur, qui aime beaucoup la photographie et à connu bien des situations semblables à celles du livre. C'est assez net lorsqu'on compare avec d'autres ouvrages, surtout Ex Abrupto (que je chroniquerais plus tard). Il nous livre un personnage sans concession, qu'on découvrira sur tout les plans sans secret et sans faux fuyants. Il est comme un livre ouvert, et c'est un des héros que j'ai le plus apprécié dans les œuvres de BD, rempli de failles et de doutes, mais aussi de défauts et de qualités, c'est un personnage trop bien campé pour ne pas être réel.

En conclusion, avant que l'article ne fasse milles pages, je dirais simplement que Le combat ordinaire est une œuvre majeure dans le monde de la BD, malgré son apparition très récente. Il est pour moi dans le Panthéon de la BD, aux côtés d'immortels d'une autre époque, et de contemporains tout aussi légendaires. Le récit est simple, attachant, mêlant poésie et philosophie, humour et quotidien. Les personnages sont attachant, tout est réuni pour que la BD soit lisible et belle. Tout est en place, le lever de rideau peut commencer.
Si vous ne connaissez pas Larcenet et que vous voulez en lire quelque chose, commencez par celle-ci. C'est celle qui plait à tout le monde et avec laquelle Larcenet à frappé le plus juste. Il donne matière à réfléchir à tout le monde, quelque soit l'humeur. Pouvoir le relire n'importe quand et dans n'importe quel état, c'est ça la vrai force d'une grande BD. Et celle-ci en fait largement parti.

(Chronique n°24)

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